C’est un monument des rallyes Français que nous recevons sur Rallye – Infos ! Bernard Darniche symbolise à lui seul l’Age d’or des rallyes et des noms comme Frequelin, Todt ou encore Alpine et Stratos arrivent seuls à réveiller l’imaginaire des passionnés de notre sport. Pilote de légende, mais homme d’engagements sur différents fronts, Bernard Darniche revient avec nous sur sa carrière, l’automobile, les rallyes modernes dans un entretien à bâtons rompus comme on les aime. Rencontre avec Bernard Darniche.
Rallye – Infos : Vous qui étais cycliste, comment en êtes-vous venu au rallye ?
Bernard Darniche : Le sport auto, je ne connaissais pas du tout car j’étais cycliste. J’étais ajusteur et j’ai quitté mon usine en prenant l’option d’avoir le ciel au-dessus de la tête plutôt qu’un plafond qui m’emmerdait. Je suis devenu représentant de commerce. Je vendais des machines à calculer, des conneries comme ça. C’était une bonne stratégie car je vendais beaucoup de matériel. Donc un jour, sur la route, j’ai vu dans les phares de ma 4L une auto sur le bas-côté, en panne. J’ai tout de suite vu qu’elle était rouge, toit noir avec des phares partout. Je me suis dit merde mais c’est une voiture de rallye. C’est l’époque où elle gagnait le Monte Carlo (la Mini, NDLR). Je me suis donc arrêté, j’ai pris l’automobiliste en panne jusqu’à Fontainebleau. Pour me remercier, il m’a invité dans son écurie la semaine d’après. Ils parlaient rallyes, Tour de Corse, Monte Carlo… Pour moi c’étaient des fous. Il y avait des Alpines, des Porsche. Je me demandais où j’étais tombé et j’étais fasciné ; ils m’ont alors invité à leurs essais. Je voyais des autos dans le décor alors que moi, j’avais tout juste de quoi remplir le réservoir de ma 4L. Ils ont vu que j’avais les yeux émerveillés alors ils m’ont invité sur un rallye. J’ai eu l’occasion de faire un essai, et le patron m’a dit « mais tu conduis bien ! ». Il m’a prêté une auto et je gagne avec mon premier rallye. A l’époque, les gains étaient monstrueux. L’année d’après j’ai regagné aux Route du Nord et là tout s’est emballé. J’ai vu des demi-pages dans les journaux, une demi-pages dans l’équipe puis la télévision s’intéressait à moi ! Pour rouler, on me prêter des autos.
Ensuite je participe à la coupe Gordini que je gagne alors que je ne fais que 5 manches. Le jour de la finale, après la course, un homme élégant, nœud papillon, vient me voir et m’invite à Paris à un dîner pour discuter. Il me propose d’être pilote sur un proto NSU 1300, avec le Tour de Corse au programme. J’ai signé mon premier contrat de pilote professionnel la semaine d’après.
Rallye – Infos : NSU, Alpine, Stratos, M1,… Laquelle vous a paru la plus efficace ?
Bernard Darniche : C’est paradoxal parce que toutes les voitures que j’ai pilotées étaient efficaces. En fait, ce n’est pas la voiture que j’essayais de choisir, c’est l’équipe qu’il y avait autour. J’étais pris d’un complexe d’infériorité, j’avais l’impression qu’ils étaient tous meilleur que moi. Et pour me donner confiance, je voulais vraiment les meilleurs ingénieurs. Chez Alpine, j’avais les meilleurs. L’ingénieur en qui j’avais le plus confiance, c’était quand même Mauro Bianchi, le grand-père de Jules. Chez Renault j’avais François Castaing comme ingénieur moteur, qui je crois est aujourd’hui conseiller à la Maison Blanche pour les Affaires Automobiles aux USA. Psychologiquement, c’était important pour moi. Ils m’aidaient, me boostaient. Je m’attachais plus à l’ingénieur qu’à la voiture. Du coup, la voiture, j’en faisais à peu près ce que je voulais.
Celle qui m’a donné le plus satisfaction, c’est la M1 (BMW), alors que je n’ai pas une seule victoire avec. C’était une auto incroyablement efficace et qui m’a séduit. J’en ai piloté une aux 24h du Mans, dans le brouillard et la pluie, de vraies conditions de rallye quoi et elle était terriblement efficace. Je me suis dit cette voiture, il faut la mettre sur la route. J’ai convaincu Hugues de Chaunac, qui était le bras droit de BMW (actuel patron et fondateur d’Oreca), de me la mettre en rallye. Tout le monde m’a traité de fou, mais ça marchait ! Ce sont des soucis de santé m’ont obligé d’arrêter, et le développement de l’auto a été stoppé.
J’ai aussi été pris chez Audi car leurs pilotes étaient incapables de développer la voiture sur asphalte. Puis j’ai eu cet accident malheureux en essai avec un camion en sens inverse. Il a fallu 18 opérations en deux ans pour me refaire les jambes. Je savais que ma jambe droite ne marcherait plus jamais comme avant mais j’étais content d’avoir encore mes deux jambes car on voulait me les amputer. Si Alain (Mahé) n’avait pas été là, ils me coupaient les jambes. Il est resté trois jours au pied de mon lit, il interdisait toute approche. J’avais des fractures ouvertes, ça saignait de partout. Ils craignaient l’infection. C’est Alain qui a interdit qu’on me touche. Quand j’ai repris conscience j’ai été transféré à Paris et ils m’ont réparé.
Rallye – Infos : Avec Therier, Andruet et Nicolas, vous formiez « les Mousquetaires ». D’où vient ce nom ?
Bernard Darniche : On s’entendait vraiment bien, c’était une famille. C’est le seul moment dans ces trois années chez Alpine où j’ai eu l’impression d’être avec mes frères. On partageait tout et on faisait un pot commun partout. Je n’étais pas très bon quand je suis arrivé sur la glisse, la neige, je n’étais pas à leur niveau. Alors j’ai demandé à Nicolas d’être son coéquipier pendant des reconnaissances pour voir ce qu’il faisait car lui était très bon en glisse. Ils m’ont mis à leur niveau volontairement. Ça se passe de commentaires.
Je me rappelle, à l’époque on gagnait beaucoup d’argent. Les prix étaient donnés en cash. Pour l’anecdote, un jour, on rentrait de Lisbonne, on avait gagné le rallye du Portugal. On était tous les trois assis dans l’avion et on partageait l’argent comme si on venait de faire un casse !
Rallye – Infos : Monte Carlo 1979, un Darniche Stratos…phérique ! Racontez-nous.
Bernard Darniche : Je ne sais plus pour quelle raison mais dans la première Partie du rallye, j’étais sixième, à 6 minutes 30 et je n’étais pas à ma place quoi. Je ne sais pas si c’était moi, la voiture ou les pneus. Honnêtement je me rappelle plus. J’osais même plus aller voir ingénieur et les mécaniciens tellement j’avais honte d’être sixième. La veille de la dernière nuit (On partait le samedi soir pour faire 10 spéciales et on rentrait au petit matin) on était à l’hôtel de Paris (Monaco) et on avait des chambres communicantes avec mon coéquipier, Alain Mahé. Et je lui dis tiens j’ai une idée. Après avoir potassé, travaillé et calculé si on mettait tel type de pneu, si on sans clou car il n’y avait que vingt pourcents de plaques de glace, j’étais sûr qu’on fait le scratch. Il me regarde et il me dit : « Tu sais qu’il y a des ravins de 200 mètres dans le Turini. S’il y a de la glace avec ces pneus-là soit on va au trou soit on va dans un rocher. » On ne peut pas le faire avec des pneus larges comme ça, sur la glace, c’est impossible à conduire. Je lui dis : « Alain, on n’a pas été bons, faut qu’on teste un truc. Qu’est-ce que t’en penses ? » Tu es dans la voiture avec moi, c’est pour ça que je te demande. Et il me répond : « J’en pense que tu veux le faire. »
On arrive au départ du Turini avec un ciel étoilé. Je me dis putain si ça a gelé on est mal. Il y avait Ragnotti. Il regarde mes pneus et me dit : « c’est une belle nuit pour mourir ». Le départ est glacé. Je frotte la voiture sur les rochers pour la freiner. On passe ces 3 kms gelés et on arrive sur l’asphalte. Là j’envoie comme un malade. On arrive en bas et on met 20 secondes au deuxième. Là Alain me dit pourquoi on n’essaierait pas la deuxième ? On le fait, et là c’est quarante secondes. On moyenne à faire des calculs et on se dit merde, on peut le faire ! D’une épreuve à l’autre, on arrive au départ de la dixième spéciale avec quinze secondes de retard sur Waldegard qui était alors premier. Et là je me dis Waldegard est en train de perdre le Monte Carlo. Il va mettre des pneus sans clous il ne peut pas faire autrement. Mais sans entraînement, il ne va pas s’en servir correctement. Je dis à Alain nous on va faire l’inverse. On va mettre des clous pour la dernière, pour assurer le coup. Et effectivement, on a été plus rapide. On gagne le Monte Carlo pour six secondes.
Rallye – Infos : Rallye, le Mans, Dakar, Andros,… Peut-on dire que vous étiez un pilote complet ?
Bernard Darniche : J’ai fait le Dakar avec Balavoine et avec l’équipe de Sardou aussi. Je l’ai fait pour leur faire plaisir parce que faire le Dakar ça m’emmerdait. Je n’ai jamais pensé à ça mais j’ai gagné sur la glace, je marchais fort en circuit aussi. Donc oui, je pense qu’on peut le dire.
Rallye – Infos : Après votre carrière sportive, vous vous engagez en faveur de la sécurité routière.
Bernard Darniche : Oui et c’est Jacques Chirac alors premier ministre qui m’a emmené dans cette histoire.
Rallye – Infos : Vous êtes fondateur et porte-parole de l’association « Citoyen de la Route ».
Bernard Darniche : Tout à fait !
Rallye – Infos : Et vous êtes également membre du bureau du Comité Indépendant d’Evaluation du 80km/h.
Bernard Darniche : Qui est toujours en vigueur et qui fonctionne. Cela nous a valu d’être auditionné par la « cour des comptes » pour le travail qu’on fait. Elle a rendu un premier avis favorable pour nous. Sur un plan économique, la limitation de vitesse est une catastrophe.
Rallye – Infos : Vous étiez dernièrement pressenti pour devenir le nouveau Président de la FFSA.
Bernard Darniche : Le collectif « Pour une nouvelle FFSA » m’a demandé de me présenter comme président. Seulement, on nous a mis des bâtons dans les roues. Mais on se bat, des recours et des plaintes sont déposées au parquet de Paris pour détournement de fond. Nous avons également fait une action d’annulation des élections car le président n’avait pas sa licence au moment des élections. Puis à la direction de cette fédération, il n’y a que des bureaucrates. Il faut des personnes qui connaissent le terrain pour que ça avance et que ça fonctionne.
Rallye – Infos : Vous avez vu évoluer le monde du rallye. Quel bilan pouvez-vous en faire, peut-on dire « c’était mieux avant » ?
Bernard Darniche : Non, ce n’était pas mieux avant mais ce n’est pas mieux maintenant ! A l’époque où j’ai couru, c’était extrêmement dangereux et il y avait de gros cartons. Ce n’était pas un truc de tout repos. C’était très dangereux avec les Groupe B, pour nous et pour les spectateurs. Les voitures étaient impossibles à conduire. Pour des raisons de sécurité, ils ont fait des règlements où les spectateurs n’ont plus du tout accès. On ne voit plus rien maintenant quand on va voir un rallye. Et les voitures d’aujourd’hui sont insipides. A mon avis, elles sont devenues aussi dangereuses, sur le plan de la dynamique, que les Groupe B, mais avec une sécurité passive renforcée avec la liaison au sol, des pneus qui ne sont plus du tout adaptés et de gros cartons arrivent. A force de vouloir créer un équilibre, ils ont créé un déséquilibre.
Rallye – Infos : Que faudrait-il pour que plus de constructeur s’engage ?
Bernard Darniche : Des voitures plus simples. Par exemple, je vois l’Alpine aujourd’hui. S’il n’y avait que des 2 roues motrices de ce type, ce serait infiniment plus agréable pour les spectateurs, les pilotes et les usines. Ça va beaucoup moins vite, mais c’est beaucoup plus spectaculaire et surtout beaucoup moins cher. Une Alpine préparée, c’est au moins 5 fois moins cher qu’une WRC. Et visuellement, c’est le pied de voir une Alpine ou une Porsche, plutôt que ces WRC ou ces R5.
Rallye – Infos : Aujourd’hui, tous les constructeurs passent à l’électrique. Pour vous, y a-t-il vraiment un avenir ?
Bernard Darniche : Honnêtement, je ne vais pas me prononcer sur le sujet parce que je parle avec de grands patrons de constructeurs automobiles, ils se mettent à l’électrique parce qu’ils y sont obligés par la réglementation. Mais ils n’y croient pas à terme. Il va y avoir une segmentation naturelle qui va se faire. Une partie électrique, une partie hydrogène et une avec énergie conventionnelle améliorée…
Rallye – Infos : Votre meilleur souvenir de carrière ?
Bernard Darniche : D’avoir eu accès à ce privilège, de faire ce métier, si on peut appeler ça comme ça. Sortir d’une usine où j’étais ajusteur et avoir la vie que j’ai eu, c’est ça mon meilleur souvenir.
Rallye – Infos : Et votre plus grand regret ?
Bernard Darniche : Je n’ai pas trop de regret en fait. Parce que c’est tellement incroyable ce qu’il m’est arrivé que je ne peux pas avoir de regret. Si, il y en a un : j’aurais pu être un grand blond aux yeux bleus par exemple ! (Rires)
Rallye – Infos : S’il n’y avait qu’un rallye, ce serait lequel ?
Bernard Darniche : Oh le Tour de Corse. Il faut refaire un peut l’historique. Ma première fois c’était en 1969 avec une NSU officielle. Je n’avais jamais vu la Corse de ma vie et j’ai fini 5 ème ou 7 ème je crois. L’année d’après (1970), j’avais une Alpine officielle et je gagne. Il y avait 12 épreuves, je gagne les 12, devant Andruet. L’année suivante, j’ai testé un prototype d’Alpine, ça n’allait pas. L’année d’après, pareil. Comme j’avais déjà gagné la Corse, on me demandait de tester des voitures. Je sors de chez Alpine et je passe à la Stratos et je gagne en 1975 en emmenant le titre de Champion du Monde à Lancia par la même occasion. En 1976, on me demande de laisser gagner Munari, mais j’étais devant. Puis vient la Fiat avec qui je gagne l’année d’après. On me redonne une Fiat et je regagne. L’année d’après, mauvaise rencontre avec Frequelin et Todt, on finit dans le ravin. L’année qui suit, je regagne avec la Lancia. Pour moi, la Corse, c’est carton plein.