Benjamin Boulenc, le triomphe de la résilience

Rallye-Infos
16 décembre 2024

Passé du VTT de haut niveau au volant d’une Clio Rally5, Benjamin Boulenc incarne la résilience et la soif de défis. De ses premières victoires sur deux roues à son titre en Clio Trophy France Terre au côté de sa copilote et compagne Chloé Barozzi-Gauze, l’Occitan nous raconte son aventure marquée par les obstacles et une détermination sans faille. Découvrez le parcours d’un champion au destin inattendu, où chaque étape compte pour viser encore plus haut.

Benjamin, rien ne semblait vous destiner au rallye ?
En effet, je ne suis pas du tout issu d’une famille impliquée en sport automobile. Ma première passion était le VTT. Dès l’âge de huit ans, je ne m’imaginais pas faire autre chose que cela. J’ai terminé deuxième de ma première course, et beaucoup de victoires ont suivi. J’ai été champion de France, j’ai été en équipe de France et j’ai disputé des manches de Coupe du Monde… Puis j’ai eu la mononucléose à dix-huit ans. C’est un virus bénin pour la grande majorité de la population, mais il peut impacter la pratique de certains sports d’endurance à long terme. Pour moi, cela s’est traduit par de la fatigue musculaire. Je pouvais préparer une saison autour d’un seul objectif, mais je passais complètement au travers de la compétition. Certains ont réussi à revenir, donc j’ai insisté pendant quatre ans, sans succès. J’avais une carrière qui pouvait s’écrire puisque mes concurrents d’alors sont aujourd’hui professionnels.

Comment avez-vous fait la transition ?
En obtenant mon permis, j’ai découvert la joie de la conduite. La voiture m’a toujours attiré, et ce bien avant mes pépins de santé. Je prenais un plaisir fou avec les jeux vidéo de voiture ou en karting quand mes parents m’emmenaient en faire avec des amis. Je ne voulais jamais m’arrêter et j’étais souvent devant, sans jamais vraiment penser à la compétition puisque j’étais épanoui dans un autre domaine jusqu’à ce que je comprenne que le VTT était fini pour moi. C’était très dur psychologiquement sur la fin. Je faisais le métier, je m’entraînais six jours sur sept, avec l’hygiène de vie la plus irréprochable possible, mais cela ne fonctionnait plus. J’ai donc raccroché, frustré, et avec un besoin de revanche. Je me suis alors tourné vers le sport automobile, normalement moins exigeant sur le plan physique. J’ai entendu parler de Rallye Jeunes et j’ai tenté ma chance. J’ai passé plusieurs étapes, mais j’ai manqué la finale de justesse. Cela ne m’a toutefois pas empêché de me renseigner jusqu’à mon premier départ.

Une fois au volant, avez-vous retrouvé des sensations de votre ancien sport ?
Il existe finalement quelques similitudes, dont la gestion de la course et du stress, la lecture du terrain et la préparation à la compétition. Je faisais du cross-country, donc la notion de trajectoire était moins primordiale puisque le physique peut compenser le manque de technicité. Cela dit, le VTT m’a donné une discipline et une énorme capacité de travail que j’ai pu réappliquer au rallye, et c’est aujourd’hui indispensable pour évoluer à un bon niveau.

Comment se sont passés vos débuts ?
C’était un peu difficile puisque je ne finissais pas mes saisons pour des raisons budgétaires. Je faisais trois ou quatre rallyes par an, donc c’était compliqué de progresser dans ces conditions. Il y a ensuite eu le Covid, donc mon activité de kinésithérapeute s’est réduite et j’ai connu une année blanche en 2020. J’ai essayé des choses et j’ai parfois manqué d’un brin de réussite. Je me souviens d’une compétition sur le jeu du WRC. Je me suis lancé dans l’espoir de remporter le gros lot, une voiture de série, que je comptais revendre pour faire du rallye. Je suis arrivé en demi-finale, mais le PC s’est éteint en pleine spéciale. J’avais aussi acheté une F2/13 réputée fiable pour rouler à bas coûts tout en pouvant apprendre à régler un châssis. L’idée était de préparer un retour en formule de promotion, sans savoir encore laquelle.

Pourquoi avez-vous choisi le Clio Trophy France Terre ?
Je voulais une formule où je peux m’exprimer sans un budget trop conséquent. J’avais entendu que le Clio Trophy France Terre était un peu le « Graal » de l’équité sportive, avec des vérifications techniques très strictes. Je trouvais cela bien au vu de mes expériences, et c’est pourquoi nous nous sommes lancés avec Chloé, ma copilote et compagne. En parallèle, j’ouvrais une entreprise d’impression 3D béton, une activité assez nouvelle dans un secteur assez innovant et en plein développement. J’étais épanoui dans mon ancienne profession, mais j’en voulais un peu plus. J’aime les défis, donc je suis parti dans ce domaine un peu avant-gardiste puisque nous ne sommes que deux en France à être équipés de cette technologie. J’avais donc besoin d’un format qui n’empiète pas trop sur la vie professionnelle, d’où la terre.

Vos débuts sont alors prometteurs…
Nous manquons le coup d’envoi aux Causses comme nous n’avions ni la voiture ni le kit terre à temps. Nous arrivons sans le moindre essai au Castine, la manche où j’ai le plus de mal comme le terrain me convient un peu moins. Nous finissons huitièmes. À Langres, nous sommes en tête après deux spéciales avant une crevaison. Nous n’étions pas préparés à changer une roue, donc nous perdons le rallye là-dessus. Nous confirmons au Lozère avant une nouvelle crevaison. Enfin, nous étions deuxièmes aux Cardabelles, à 6’’5 du local Florian Condamines avant de casser une biellette de direction. La performance était au rendez-vous, la réussite moins.

Vous montez ensuite en puissance en 2023…
Nous commençons l’année avec une crevaison et une bêtise qui nous pose sur un talus. J’étais dépité et je ne voulais pas me rendre à Aléria comme le titre était déjà hors de portée. Chloé a insisté et les vidéos des spéciales faisaient vraiment envie. J’y suis allé juste pour le plaisir de vivre ce rallye complètement différent, avec des spéciales techniques plaisantes. Nous finissons troisièmes après avoir été en tête. Cela nous a relancés et nous avons connu une belle fin de saison : deuxièmes au Lozère, puis quatrièmes aux Cardabelles.

De quoi afficher pleinement vos ambitions en 2024 ?
Nous voulions vraiment revenir même si le fait d’avoir quitté mon métier compliquait la donne. Chloé et moi avons des tempéraments qui font que nous ne lâchons vraiment rien. Entre notre expérience accumulée et notre pointe de vitesse, nous nous devions d’être là. Les deux premiers rallyes du calendrier sont un peu nos bêtes noires, mais les Causses étaient une bonne surprise. Nous terminons deuxièmes à dix secondes de Tom Pellerey, puis quatrièmes au Castine. Dans tous les cas, nous savions que nos performances seraient meilleures sur les trois épreuves suivantes.

Vient enfin votre premier succès à Aléria…
Comme l’année précédente, nous arrivons en Corse au pied du mur. C’était la gagne ou rien comme Tom avait déjà une victoire et une deuxième place. Le rallye s’est finalement très bien passé. Nous avons pu gérer notre course, même si Mika est revenu fort lorsque nous avons perdu du temps en dépassant une voiture en panne dans l’avant-dernière spéciale. Nous avons toutefois signé le scratch parmi les tractions dans le test final malgré les nombreuses Rally4. Cette première victoire nous a vraiment fait du bien.

Quid de la suite ?
Avec le décompte du plus mauvais résultat, nous étions à égalité de points avec Tom. Nous nous rendons au Lozère en espérant prendre l’ascendant et éviter toute pression superflue aux Cardabelles. Nous commençons à bien connaître ce rallye et la première journée est la plus cassante. Nous gérons donc notre rythme et nous nous retrouvons à une vingtaine de secondes de Mika et Tom, qui subit une double crevaison en fin de journée. Notre pari allait payer, mais un souci de pompe à essence nous coûte une minute et demie. Après quelques calculs, nous savons qu’il faut reprendre plus de quarante secondes pour remonter à la deuxième place. C’est exactement ce que nous faisons avec trois scratches avant de contrôler dans le test final. Encore une fois, nous avons été performants au pied du mur. J’ai toujours eu trop tendance à essayer de tout anticiper. C’est peut-être aussi pour cela que je sors très peu, mais Jérémy Brissiaud [directeur de l’équipe Fun Meca Sport] m’a dit d’arrêter de me poser des questions pour que je puisse me concentrer sur mon pilotage.

Vous êtes alors encore en lice avant la finale. Comment l’abordez-vous ?
La situation n’était pas idéale au départ des Cardabelles. Tom a de l’avance et nous savons qu’il faut gagner avec un maximum de meilleurs temps pour conserver nos chances. C’était un rallye avec énormément de pression. Même si j’avais connu cela en VTT, les enjeux étaient importants. Je courrais après cela depuis 2015. Et même si j’ai grandi, j’ai toujours au fond de moi cette petite envie de revanche vis-à-vis du VTT. Je ne peux pas m’empêcher d’essayer. L’abandon de Tom a rendu la situation plus simple, mais ce n’est pas pour autant que c’était gagné…

Qu’avez-vous ressenti après cette dernière spéciale où tout s’est décidé ?
Le dernier jour, nous avions neuf points à prendre sur vingt en jeu. Je me suis dit que cela allait le faire, mais l’avant-dernière spéciale a été annulée. Nous faisons donc un passage intelligent en attaquant là où c’est propre et en soulageant dans les sections cassantes pour éviter les crevaisons. Il fallait être dans les quatre meilleurs. Plus les concurrents passaient, plus cela sentait bon, mais l’attente était interminable. Pendant plus d’une heure, nous avons réactualisé la page des temps sur nos téléphones pour voir où en étaient les autres. Nous avons eu la confirmation du titre au pied du car podium à Millau. C’était dur à vivre comme notre destin n’était plus entre nos mains, mais la délivrance n’en était que plus belle.

Qu’a pu vous apporter votre compagne Chloé, qui n’a copiloté que pour vous jusqu’ici ?
Chloé a énormément contribué à ce succès. Comme moi, elle ne vient pas d’une famille dans le rallye. Nous nous sommes rencontrés dans la vie, sans jamais prévoir de rouler ensemble. Un jour, mon copilote m’informe de sa non-disponibilité à deux semaines d’une épreuve. Je lui ai demandé et elle était partante. Elle est passionnée par son métier, kinéostéopathe, mais c’est une aventurière qui aime les sensations fortes, l’adrénaline et la compétition. Elle est intelligente et travailleuse, donc je savais qu’elle avait les capacités pour ce rôle. Elle m’apporte beaucoup sur le plan mental. Quand je suis négatif, elle le voit et elle me remobilise. Malgré sa faible expérience, c’est une excellente copilote, toujours dans le tempo, jamais en retard. Et c’est aussi une aventure de vivre ça à deux. Elle m’a déjà dit qu’elle ne voudrait pas forcément être à la droite d’un autre pilote, car elle me fait confiance à 100 %. Elle oublie que je peux faire des bêtises, mais comme on dit, l’amour rend aveugle !

Qu’ont pu vous apporter les structures MSV Compétition et Fun Meca Sport ?
L’histoire avec MSV Compétition a commencé au Rallye de Grasse avec notre F2/13. Ils faisaient notre assistance et nous avons fait connaissance avec Patrick Fotia. J’ai découvert un véritable personnage. Il est connu pour son énergie parfois un peu excessive, mais il a mis tout son savoir à notre service en travaillant avec nous sur la voiture et les réglages. Il s’est donné à fond pour que nous réussissions. Cette aventure humaine est partie de là et je le revois avec les larmes aux yeux après notre victoire à Aléria. Avec Fun Meca Sport, l’idée était d’inscrire des points pour l’équipe en 2024 tout en travaillant ensemble. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice, MSV Compétition en étant toujours à nos côtés avec une voiture fiable, et Fun Meca Sport avec leur expérience indéniable de Clio Rally5. Nous avions tous les éléments pour nous concentrer sur notre travail et nous ne pouvons que les remercier.

À quel moment avez-vous su que vous pourriez obtenir ce titre ?
Dès notre deuxième rallye en Clio Trophy France Terre. Sans une énorme préparation, nous étions en tête avant une crevaison. Nous revenons pour signer tous les scratches ou presque le lendemain. Nous avons alors compris que nous pouvions le faire. A contrario, nous nous sommes aussi dit que cela ne serait jamais pour nous tant nous avons accumulé de mésaventures les deux premières années !

Selon vous, quels sont les principaux avantages de Clio Rally5 ?
Son châssis est incroyable. Nous n’avons jamais vu de réaction dangereuse ou « anormale » sur ces trois dernières années. Nous ne sommes jamais sortis malgré un rythme assez élevé. J’ai pu m’engager dans des zones bosselées à une vitesse excessive par rapport à l’amorti de la voiture, comme elle répond à la réglementation spécifique de sa catégorie, et elle a été surprenante… Un peu à l’image d’un buggy qui vole sur des hoops ! C’est une voiture saine qui permet de se concentrer sur le pilotage. Les performances sont également au rendez-vous puisque nous avons fait des meilleurs temps devant des Rally4. D’ailleurs, le niveau monte d’année en année grâce aux enseignements tirés. Il n’y a qu’à voir Matteo Chatillon, devenu vice-champion du monde en WRC3 directement après le Clio Trophy. Enfin, la voiture est économique et très fiable quand l’on voit le nombre d’engagés en trophée et le faible nombre d’abandons mécaniques.

Avec le titre en poche, comment se dessine l’avenir pour vous ?
Nous sommes plutôt tenaces, donc Chloé et moi ne voulons absolument pas en rester là. Hormis une pige en Alpine, nous n’avons jamais roulé avec autre chose qu’une traction. La suite logique serait de passer en quatre-roues motrices. Cela demandera de l’adaptation et de la remise en question, mais nous en avons vraiment envie. Je pense que notre titre crée une dynamique un peu différente autour de nous. J’en profite pour remercier notre partenaire principal Canatec et tous ceux qui nous suivent et s’engagent pour l’an prochain. Des choses se mettent progressivement en place et j’espère que nous pourrons annoncer un beau programme. Dans tous les cas, nous voulons nous confronter à du haut niveau et tenter de prouver à nouveau que nous pouvons aller vite. J’ai manqué une carrière professionnelle en VTT, je ne sais pas si l’on peut dire qu’il est déjà trop tard dans le monde du rallye, mais l’idée reste quand même d’aller le plus loin possible. Avec Chloé, nous nous répétons souvent une phrase d’Eleanor Roosevelt que j’ai entendue pour la première fois de la bouche d’Ari Vatanen : « L’avenir appartient à ceux qui croient en la beauté de leurs rêves », donc à nous de jouer !

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